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Bientôt nos tyrans réservèrent pour eux le peu qui restoit de vivres, & ordonnèrent qu’une partie des noirs seroit la pâture de l’autre.

Je ne puis vous dire si cette loi si digne des hommes de votre race, me fit plus d’horreur que la manière dont elle fut reçue. Je lisois sur tous les visages une joie avide, une terreur sombre, une espérance barbare ; je les voyois, ces malheureux compagnons d’un même esclavage, s’observer avec une attention vorace & des yeux de tigres.

Les premières victimes furent choisies dans le nombre de ceux que la faim avoit le plus accablés : c’étoit deux jeunes filles du village d’Onébo. J’entends encore les cris de ces infortunées ; je vois encore les larmes couler sur les visages de leurs compagnes affamées qui les dévoroient.

Les foibles provisions que j’avois dérobées aux regards de nos tyrans, avoient soutenu les forces d’Ellaroé & les miennes, nous étions sûrs de n’être point choisis pour être immolés ; j’avois encore des dattes, & nous jettions à la mer sans qu’on s’en apperçût, les portions horribles qu’on nous présentoit.

Le lendemain de ce jour affreux où nos com-