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ne nous donnoient de vivres que ce qu’il en falloit pour nous empêcher de mourir.

Deux nègres déterminés à la mort s’étoient refusé toute espèce de nourriture, & ils nous faisoient passer, en secret, le pain & les dattes qu’on leur donnoit : je les cachois avec soin dans l’intention de les employer à conserver les jours d’Ellaroé.

Le calme continuoit : les mers sans vagues, sans ondes, sans flots, présentoient une surface immense & immobile où notre vaisseau sembloit attaché. L’air étoit aussi tranquille que les eaux. Le soleil & les étoiles, dans leur marche paisible & rapide, n’interrompoient pas ce profond repos qui régnoit dans le ciel & sur les mers. Nous portions sans cesse les yeux sur cet espace uniforme & sans rives, terminé par la voûte du ciel, qui sembloit nous enfermer dans un vaste tombeau. Quelquefois nous prenions les ondulations de la lumière pour un mouvement des eaux ; mais cette erreur étoit de courte durée. Quelquefois en nous promenant sur le tillac, nous prenions pour du vent l’agitation que nous imprimions à l’air ; mais à peine avions-nous suspendu nos pas, que nous nous retrouvions environnés du calme universel.