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en communauté, sont précisément ceux qui augmentent de prix quand ils sont goûtés à la fois par un grand nombre. On aime à partager le plaisir d’un beau jour, d’une vue agréable, du parfum des fleurs, parce que ce partage n’ôte rien. Oui, dit Sara, & dès que le partage n’ôte rien au plaisir, il l’augmente. Les Poëtes ont trop vanté le charme de la solitude en parlant des délices de la campagne. Il semble quelquefois, à les entendre, qu’on ne puisse bien jouir de ces délices que loin des hommes ; mais c’est des hommes de la cour & de la ville qu’ils ont voulu parler, c’est-à-dire des hommes dont l’ame seche, dure ou frivole auroit été insensible au charme de la nature. Une preuve certaine que les Poëtes sentoient le besoin de communiquer leur plaisir pour l’augmenter, c’est qu’ils ont peint les beautés qu’ils admiroient, & qu’ils ont voulu transmettre les impressions qu’ils avoient reçues jusqu’à la dernière postérité.

Cette conversation, si délicieuse pour moi, fut interrompue par les faneurs qui sortirent en troupe de la maison : ils étoient accompagnés par l’aîné des enfants de Sara, qui portoit un rateau ; & jamais Roi n’a été si fier de son sceptre que