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Ah ! Nous étions heureux par la seule espérance,
Puissions-nous l’être encor au sein de l’abondance !
L’homme a tout recueilli, n’a plus à désirer,
Et le cœur satisfait va cesser d’espérer.
Peut-être du soleil la lumière affoiblie
Répandra moins ici, l’action & la vie.
L’homme va moins sentir, & peut-être son cœur
Va-t-il de l’indolence éprouver la langueur.
Combattons la du moins par un mâle exercice ;
A nos jeux, nos plaisirs que le travail s’unisse ;
Opposons la fatigue à l’ennui du repos ;
Pénétrons les forêts, montons sur les côteaux ;
A leurs hôtes nombreux allons livrer la guerre.
Moi, nouveau Salmonée, armé de mon tonnerre,
Tantôt dans le taillis je vais au point du jour
Du lièvre ou du chevreuil attendre le retour ;
Et tantôt parcourant les buissons des campagnes,
Je cherche la perdrix qu’appelloient ses compagnes.
Mon chien bondit, s’écarte, & suit avec ardeur
L’oiseau, dont les zéphyrs vont lui porter l’odeur ;
Il l’approche, il le voit ; transporté, mais docile
Il me regarde alors & demeure immobile ;
J’avance, l’oiseau part, le plomb que l’œil conduit
Le frappe dans les airs au moment qu’il s’enfuit ;
Il tourne, en expirant, sur ses ailes tremblantes,
Et le chaume est jonché de ses plumes sanglantes.
Souvent, quand le soleil dore le haut des monts,
Et que l’ombre allongée obscurcit les vallons ;
Je descends dans un pré, vers un golphe paisible
Qu’environne un ombrage au jour inaccessible ;
Là, je vois le pêcheur, sur les flots ébranlés
Lancer d’un bras nerveux ses filets rassemblés ;
Ils couvrent d’un long cercle un peuple trop avide
Qu’attira vers la rive une amorce perfide ;
Les filets, en tombant, l’un de l’autre écartés
S’unissent lentement sous les flots argentés ;
Ils ont enveloppé dans leurs grottes profondes,
Et ramenent vers moi les habitants des ondes.