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Mais toujours entouré de surveillans sévères,
Il maudit les parents, l’œil vigilant des mères.
Damon sçavant dans l’art d’écarter les soupçons,
A ses soins assidus sçait trouver des raisons :
C’est Polémon qu’il aime ; il veut, dit-il, s’instruire
Connoître son terrein, les grains qu’il peut produire :
Il est agriculteur, & Polémon ravi,
Voit en lui son égal, son disciple, un ami.
Un jour dans un verger au fond d’une tonnelle,
Damon apperçoit Lise, & Lucas auprès d’elle ;
Il s’approche, il observe, il voit l’heureux Lucas
Autour du sein de Lise étendre un de ses bras,
Saisir de l’autre main sa main qu’elle abandonne,
Et prendre en souriant un baiser qu’on lui donne.
Des troupeaux de Damon ce jeune & beau pasteur,
D’une chaste beauté modeste adorateur,
Avoit plû par ses soins, ses mœurs & sa constance.
Ce spectacle à Damon n’ôte point l’espérance,
Ne le rend point jaloux ; il poursuit ses projets ;
Il cherche les moyens d’en hâter le succès ;
Et même il croit dès-lors sa victoire infaillible :
Lise est à moi, dit-il, puisque Lise est sensible.
Bientôt il s’apperçoit que vers la fin du jour,
Au moment favorable aux larcins de l’amour,
Lise se rendoit seule au bord d’une onde claire,
Qui coule autour d’un bois dans un pré solitaire ;
De jeunes aliziers recourbés en berceaux,
De verdure & d’ombrage y couronnoient les eaux.
O Lise ! En quel état Damon va vous surprendre !
O sagesse ! ô pudeur ! Pourrez-vous la défendre ?
Lise part, Damon vole, & par d’étroits sentiers
Il arrive avant elle au berceau d’aliziers.
Là, sous des arbrisseaux, dans un lieu frais & sombre,
Il attend que la nuit ait répandu son ombre ;
Il voit enfin noircir le verd de la forêt :
Il est tems de quitter son asyle secret.
Il tremble qu’en sortant le bruit ne le découvre ;
Il soutient les rameaux du buisson qu’il entr’ouvre.