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Sans ombre & sans limite un ciel tranquille & pur
Y couronne les champs du plus brillant azur.
De l’écharpe d’Iris l’éclatant météore,
Y trace dans les airs les couleurs de l’aurore.
Un vent frais & léger y parcourt les guérets,
Et roule en vagues d’or les moissons de Cérès.
On y sent ce parfum, cette odeur végétale,
Que la terre échauffée après l’orage exhale.
Le berger au berger répète ses chansons ;
L’heureux agriculteur, si près de ses moissons,
Content de son travail, de son intelligence,
Admire ses guérets, sourit à l’abondance,
S’estime, s’applaudit, ne se repent de rien,
Et se dit, comme un Dieu, ce que j’ai fait est bien.
Il veut que ses enfans demain avant l’aurore,
Coupent le tendre osier, le jeune sycomore,
Et forment les liens qui doivent enchaîner
Ces épis, que Cérès s’apprête à lui donner.
Lise à ce doux travail, Lise au fond d’un bocage,
Avoit charmé Damon, le seigneur du village :
A peine elle comptoit trois lustres & trois ans ;
Ses grands yeux étoient noirs, modestes & perçans ;
Sa taille, sa fraîcheur, ses graces naturelles,
Promettoient à Damon des voluptés nouvelles.
Comblé dans les cités des faveurs de l’amour,
L’idole de la mode, & le héros du jour,
Il avoit ces travers, que son rang & l’usage,
Et sur-tout les succès imposent à son âge ;
Ni l’exemple des mœurs, qu’il doit à son canton,
Ni la peur d’affliger son fermier Polémon,
D’accabler une mère, une honnête famille,
Ni les pleurs qui suivront la faute de leur fille,
N’arrêtent un amant fougueux dans ses désirs,
Qui prend l’instinct pour guide & pour loi ses plaisirs.
A Lise, de sa part, des messagers fidelles
Vont porter des rubans, des bouquets, des dentelles ;
Il veut plaire ou séduire, & croit de jour en jour
Rendre plus agréable, ou l’amant ou l’amour :