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Des monts & des rochers le vaste amphithéatre
Disparoît tout-à-coup sous un voile grisâtre ;
Le nuage élargi les couvre de ses flancs ;
Il pèse sur les airs tranquilles & brûlants.
Mais des traits enflammés ont sillonné la nue,
Et la foudre, en grondant, roule dans l’étendue ;
Elle redouble, vole, éclate dans les airs ;
Leur nuit est plus profonde, & de vastes éclairs
En font sortir sans cesse un jour pâle & livide ;
Du couchant ténébreux s’élance un vent rapide ;
Il tourne sur la plaine & rasant les sillons,
Il roule un sable noir qu’il pousse en tourbillons.
Ce nuage nouveau, ce torrent de poussière,
Dérobe à la campagne un reste de lumière.
La peur, l’airain sonant dans les temples sacrés,
Font entrer à grands flots les peuples égarés.
Grand Dieu ! Vois à tes pieds leur foule consternée
Te demander le prix des travaux de l’année.
Hélas ! Du ciel en feu les globules glacés
Ecrasent, en tombant, les épis renversés.
Le tonnerre & les vents déchirent les nuages ;
Les ruisseaux, en torrents, dévastent leurs rivages.
O récolte ! ô moisson ! Tout périt sans retour :
L’ouvrage de l’année est détruit dans un jour.
Il n’est plus de bonheur, l’espérance est perdue ;
Des femmes, des vieillards, les cris percent la nue.
Le hameau rétentit d’horribles hurlements ;
Les vents à ces clameurs mêlent leurs sifflements ;
Les cris des animaux effrayés du tonnerre,
Ce fracas répété du ciel & de la terre,
Ces ravages, la nuit, la tempête en fureur,
Tout inspire à la fois l’épouvante & l’horreur.
Ah ! Fuyons ces tableaux, & loin de ces rivages
Allons chercher des lieux, où le cours des orages,
Sans y lancer la foudre, ou noyer les moissons,
A rafraîchi les airs & baigné les sillons.
Un reste de nuage errant sur les campagnes,
Va s’y perdre en fumée au sommet des montagnes :