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Satisfaits de nous voir, heureux de nous parler,
Le plus rude travail ne peut nous accabler :
Mais aussi ce travail n’est jamais solitaire ;
Dans les murs des cités l’artisan sédentaire,
Emprisonné dans l’ombre, & sans société,
A son triste attélier sent mourir sa gaité :
Il n’a point son ami qui par un doux sourire,
La ranime en son cœur au moment qu’elle expire.
Voyez-vous ces beautés au visage vermeil,
Et ces jeunes pasteurs brûlés par le soleil ?
Ces vieillards, ces enfants, que le travail rassemble,
Eh bien ! Ils sont heureux du plaisir d’être ensemble.
Mais montez sur mes pas, au sommet du côteau,
Vous verrez dans nos prés un plus riant tableau.
Il ne me trompoit pas : sur la plaine brûlante,
Des faneurs promenoient la faulx étincelante ;
La sueur inondoit leurs membres palpitants,
Fatigués, harassés, ils paroissoient contents.
La fille du fermier, la bergère ingénue,
Sans corset, les pieds nuds, la gorge demi-nue,
Et le trident en main retournant le gazon,
Au faneur égayé frédonnoient leur chanson.
Quand le feu du midi suspendit leur ouvrage,
Je les vis, en riant, se rendre sous l’ombrage.
Nous ne nous doutons pas des charmes d’un festin,
Qu’ont seuls assaisonnés le travail & la faim.
Ciel ! Avec quelle ardeur la troupe impatiente
Dévoroit tour à tour la framboise odorante,
La fraise, le lait frais, le cidre & le pain bis,
Placés sur le gazon qui servoit de tapis !
Le plaisir d’un repas n’est senti qu’au village ;
Quand on eut consumé les fruits & le laitage,
Le cidre pétillant réveilla les cerveaux,
Et fit naître les chants, le rire & les bons mots.
La folie & l’amour régnoient dans l’assemblée ;
Les jeux & les baisers voloient sous la feuillée,
Et par des traits piquants, mais sans malignité,
La raillerie encor augmentoit la gaité.