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Qu’il m’est doux d’échapper, sous vos vastes ombrages,
A la zône de feu qui brûle ces rivages !
Vous m’inspirez d’abord une douce terreur,
Du respect, du plaisir, une agréable horreur.
Je ne sais quoi de grand s’imprime à mes pensées,
Ce dôme ténébreux, ces ombres entassées ;
Ce tranquille désert, ce calme universel,
Leur donne un caractère & grave & solemnel.
Tout semble autour de moi plein de l’être suprême ;
Là, je viens sous ses yeux m’interroger moi-même,
Et contre les erreurs d’un monde corrompu
Je munis ma raison, j’affermis ma vertu.
Je t’adresse mes vœux, ô bienfaiteur des mondes ;
Viens parler à mon cœur sous ces voûtes profondes,
Augmente dans ce cœur l’amour de l’équité,
Le respect pour tes loix, & sur-tout la bonté.
Puissai-je loin des cours, du vice & des orages,
Aimer, faire le bien, & chanter tes ouvrages ;
Et libre, exempt d’erreurs, & du monde oublié,
Cultiver les beaux arts, les champs & l’amitié.
Mais souvent le zéphir ébranle la verdure,
Le feuillage frémit, se soulève & murmure ;
Je crois voir s’animer les chênes, les ormeaux :
Ces arbres sont pour moi des compagnons nouveaux.
Je crois rentrer alors dans le monde sensible,
Le désert imposant n’a plus rien de terrible :
Il n’est qu’une retraite, un paisible séjour,
Où ne pénètrent point le tumulte & le jour.
Si je veux habiter de plus riants asyles,
J’irai dans ces vergers, peuplés d’arbres fertiles ;
Le long de ce côteau qui dérobe un vallon
Au souffle de Borée, au vol de l’aquilon :
Une eau calme & limpide y descend des collines,
Et des plants de Pomone abreuve les racines ;
Ce vent foible & léger qui vole sur les eaux,
Et qui suit dans les bois la course des ruisseaux,
Me frappe à l’instant même où j’entre sous l’ombrage,
Et m’apporte le frais & l’odeur du feuillage.