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Embellissoient pour moi l’aurore & le printems !
J’associois mon cœur à tous les cœurs contents ;
Je m’égalois, Doris, à c& être suprême,
Heureux par le bonheur de tant d’êtres qu’il aime ;
Il jouït dans nos cœurs, c’est-là sa volupté ;
Il jette dans l’espace un regard de bonté,
Et parcourt d’un coup d’œil ces campagnes profondes,
Pour y voir le plaisir animer tous les mondes.
Ah ! c’est ici, Doris, qu’il doit fixer les yeux.
Vois, admire, jouïs... ô jours délicieux !
Le printems dans sa gloire embellit tous les êtres ;
Animaux, végétaux, tout dans ces lieux champêtres,
Arrive en ce moment au jour de sa beauté.
L’éclat de l’univers ne peut être augmenté.
Ce ciel tranquille & pur qu’argente la lumière
Réfléchit sa clarté sur la nature entière ;
Tu la vois ondoyer sur le poil des taureaux,
Donner un nouveau lustre à l’émail des oiseaux,
Se mouvoir dans les airs dont le crystal vacille,
Et jetter sur les champs une splendeur mobile.
Regarde ces côteaux l’un à l’autre enchaînés,
Et ces riches vallons de pampres couronnés ;
Vois dans ces champs, ces bois, la nature affranchie
Se livrer librement à sa noble énergie,
Semer autour de toi ses bienfaits au hasard
Et son luxe échapper aux entraves de l’art.
Regarde cette plaine & riante & féconde,
Qui semble un autre éden, & le jardin du monde.
Là, Bacchus a cédé la campagne à Cérès,
Et Vertumne & Pomone ombragent ses guérets,
Vois ces arbres en fleurs, de leur cime agitée
Verser sur les sillons une pluie argentée,
Les rubis du pavot qu’emportent les zéphirs,
Et le blu& flottant inclinant ses saphirs :
Vois tu ces églantiers, ils dessinent la route
Du ruisseau qui serpente égaré sous leur voûte ?
Vois le flambeau des cieux, les champs & les côteaux
Prendre du mouvement, & trembler dans les eaux.