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Je tressaillois, Doris, au moment où ma vue
Pénétrant par degrés dans la sombre étendue
Démêloit les couleurs, & distinguoit les lieux :
Les objets confondus s’arrangeoient sous mes yeux ;
D’abord des monts altiers la surface éclairée
Se présentoit de loin de vapeurs entourée ;
Un faisceau de rayons détaché du soleil
Couloit rapidement sur l’horison vermeil,
Et l’astre lumineux s’élançant des montagnes,
Jettoit ses rezeaux d’or sur les vertes campagnes :
Je voyois s’élever ces nuages légers
Qui couvrent les vallons sous leurs flots passagers,
Le soleil les changer en vapeur insensible,
Et remplir de splendeur un ciel pur & paisible.
J’admirois l’émail frais, l’éclat brillant des fleurs,
La rosée & l’aurore animoient leurs couleurs ;
Les rayons se jouoient dans ces perles liquides
Que rassemble la nuit dans les vallons humides ;
Les vents qui murmuroient dans les arbres voisins
M’apportoient les parfums des champs & des jardins ;
Ils enchantent les sens, & l’ame en est ravie,
On croit sentir la sève & respirer la vie.
J’entendois tout-à-coup un mêlange de voix
Résonner dans la plaine, éclater dans les bois ;
Les êtres pour jouïr reprenoient l’existence ;
Pour célébrer leur joie ils sortoient du silence ;
Le jeune agriculteur chantoit, le soc en main,
Sa maîtresse & son Dieu, les beautés du matin ;
Le berger reprenoit les chalumeaux antiques ;
La pauvreté contente entonnoit des cantiques ;
La bélante brebis, le taureau mugissant,
Vers les monts émaillés couroient en bondissant ;
Les oiseaux deux à deux, errants dans les bocages,
Remplissoient de chants gais les voûtes des ombrages ;
Et sur les jeunes fleurs qu’agitoit le zéphyr
L’insecte en bourdonnant murmuroit son plaisir.
O combien ces concerts de la saison nouvelle,
Ce tumulte, ces cris, la joie universelle,