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Des peuples éclairés & polis par les arts
Ne vont plus s’immoler sous les drapeaux de Mars ;
Les clairons, les tambours, n’éveillent plus l’aurore ;
Le sang n’inonde plus la fleur qui vient d’éclore,
Et des champs respectés les heureux habitants,
Y jouïssent en paix des charmes du printems.
Cette aimable saison, ses feux, sa force active,
Rappellent dans nos seins la santé fugitive ;
Jadis j’ai vu mes jours s’avancer vers leur fin,
Un art souvent funeste, & toujours incertain,
Alloit détruire en moi la nature affoiblie ;
Le retour du printems me rendit à la vie ;
Je me sentis renaître & bientôt sans effort,
Soulevé sur ce lit d’où s’écartoit la mort,
Je regardai ce ciel, dont la douce influence
Ranimoit mes ressorts & mon intelligence.
Soleil, tu me rendis la pensée & des sens ;
Tu semblois pour moi seul ramener le printems ;
Les oiseaux, les zéphyrs, la campagne embellie,
Tout me félicitoit du retour à la vie ;
Il sembloit qu’à la mort j’arrachois ces objets
Que j’avois craint long-tems de perdre pour jamais.
O que l’ame jouït dans la convalescence !
Je ne pouvois rien voir avec indifférence ;
Mes yeux étoient frappés d’un papillon nouveau :
Ainsi que moi, disois-je, il sort de son tombeau ;
De sa cendre féconde, il tire un nouvel être ;
La nature à tous deux nous permit de renaître.
Sur la fleur du tilleul, sur la rose ou le thim
Si je voyois l’abeille enlever son butin ;
Elle revient, disois-je, errer sur ce rivage,
Après avoir langui dans un long esclavage ;
Et moi, je viens m’unir à tant d’êtres divers,
Et reprendre ma place en ce vaste univers.
J’allois me pénétrer des rayons de l’aurore ;
J’allois jouïr du jour avant qu’il pût éclore ;
J’étois pressé de voir, pressé de me livrer
Au plaisir de sentir, de vivre & d’admirer.