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L’espérance, ô Doris, descend sur ces campagnes,
Entre dans ces vergers, vole sur ces montagnes,
L’espérance revient aux beaux jours du printems
Intéresser notre ame au spectacle des champs ;
De raisins & d’épis sa tête est couronnée,
Elle montre de loin les bienfaits de l’année,
Prom& à tout mortel le prix de ses travaux,
Le plaisir au jeune homme, au vieillard le repos.
O soutien de la vie ! ô charme de notre être !
Je viens vous retrouver dans ce vallon champêtre :
Envain je vous cherchois dans ces tristes jardins
Où de vases brillants on chargea cent gradins,
Où languit enchaîné dans sa prison de verre
Le stérile habitant d’une rive étrangère.
Qu’attendre, qu’espérer d’un théâtre de fleurs ?
La tulipe orgueilleuse étalant ses couleurs,
Le narcisse courbé sur sa tige flottante
Et qui semble chercher son image inconstante,
L’hyacinthe azuré qui ne vit qu’un moment,
Des regrets d’Apollon fragile monument,
Ne valent pas pour moi les fleurs d’un champ fertile :
Le beau ne plaît qu’un jour, si le beau n’est utile.
Aux pieds de ces tilleuls, sous ces vastes ormeaux,
Dont jamais aucun fruit n’a chargé les rameaux,
J’ai regretté souvent ces vergers où Pomone
M’annonçoit au printems les bienfaits de l’automne ;
J’ai regretté la treille, & les pampres touffus
Dont la fleur me prom& le nectar de Bacchus.
Le dirai-je, Doris, dans ces longues allées,
Semblables l’une à l’autre, exactement sablées,
Dans ces murs, ces lambris, dont j’étois entouré,
Mon esprit inqui& se trouvoit resserré :
Ils bornent à la fois l’espérance & la vue ;
J’y regrette des champs la sauvage étendue ;
Je m’y sens un besoin d’errer en liberté,
Il me faut plus d’espace & de variété.
La nature au printems belle, riche, féconde,
Varie à chaque instant le théâtre du monde,