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Le fermier inquiet, tantôt porte les yeux
Sur les côteaux jaunis, & tantôt vers les cieux.
La nue enfin s’abaisse, & sur les champs paisibles
Le fluide s’écoule en gouttes insensibles ;
On ne voit point les flots de sa chûte ébranlés,
Ni leur sein sillonné de cercles redoublés ;
A peine l’entend-on dans le bois solitaire
Tomber de feuille en feuille & couler sur la terre.
Au sein des végétaux la fertile vapeur
Dépose jusqu’au soir la vie & la fraîcheur.
Alors, l’astre du jour s’entr’ouvrant des passages
Sème de pourpre & d’or le contour des nuages,
La campagne étincelle, un cercle radieux
Tracé dans l’air humide unit la terre aux cieux.
Ces nuages légers où brilloit la lumière
Suivent le globe ardent qui finit sa carrière.
La nuit, qui sur son char s’élève au firmament,
Amène le repos, suspend le mouvement,
Et le bruit foible & doux du zéphir & de l’onde
Se fait entendre seul dans ce calme du monde.
Ce murmure assoupit les sens du laboureur ;
Les spectacles du jour ont réjoui son cœur ;
Il a vu sur ces champs descendre l’abondance.
Aimable illusion, songes de l’espérance,
Rendez-lui les plaisirs qu’interrompt son sommeil,
Il est sûr d’en jouir au moment du réveil.
Quel éclat ! Quels parfums ! Quels changements rapides !
L’épi s’est élancé de ses tuyaux humides !
Le verger est en fleurs, & ses arbres féconds
Opposent leur émail à l’émail des gazons,
Leurs cimes à travers la blancheur la plus pure
Laissent de leur feuillage échapper la verdure.
O que l’homme est heureux ! Qu’il doit être content
Des beautés qu’il découvre & des biens qu’il attend !
Le fermier étonné parcourt le paysage,
Des trésors qu’il prévoit il médite l’usage,
Et possesseur des biens qu’il espère obtenir,
Enchanté du présent, il hâte l’avenir.