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Les vieillards énervés & les foibles enfants,
Perdoient dans le repos une foule d’instants ;
Il faut rendre meilleur le pauvre qu’on soulage,
C’est l’effet du travail en tout tems, à tout âge ;
On vit dans mon château la veuve & l’orphelin,
Ourdir & préparer & la laine & le lin,
Les vieillards par des soins, par des travaux faciles,
Pouvoient jouïr encor du plaisir d’être utiles ;
On paya les impôts sans se croire opprimé ;
Tout fut riche & content, & le roi fut aimé.
O mon ami, l’amour, les sens & la jeunesse,
Des plaisirs les plus doux m’ont fait sentir l’ivresse ;
Mais soulager le pauvre, inspirer la vertu,
Est un plaisir plus grand, qui m’étoit inconnu.
Ah ! Quand l’heureux fermier, l’innocente fermière
Accourent pour me voir au seuil de leur chaumiere ;
Lorsque j’ai rassemblé ce peuple agriculteur,
Qui veille, rit & chante, & me doit son bonheur ;
Quand je me dis le soir sous mon toît solitaire,
J’ai fait ce jour encor le bien que j’ai pu faire,
Mon cœur s’épanouit ; j’éprouve en ce moment
Une céleste joie, un saint ravissement,
Et ce plaisir divin souvent se renouvelle ;
Le tems n’en détruit pas le souvenir fidelle ;
On en jouït toujours, & dans l’âge avancé
Le présent s’embellit des vertus du passé.
Du tems, vous le voyez, j’ai senti les outrages :
Déja mes yeux éteints sont chargés de nuages,
Mon corps est affaissé sous le fardeau des ans ;
Mais sans glacer mon cœur, l’âge affoiblit mes sens ;
J’embrasse avec ardeur les plaisirs qu’il me laisse ;
De cœurs contents de moi j’entoure ma vieillesse ;
Je m’occupe, je pense, & j’ai pour volupté
Ce charme que le ciel attache à la bonté.
Ainsi dans tous les tems jouït le cœur du sage,
Et son dernier soleil brille encor sans nuage ;
Ainsi le souverain des êtres & des tems
Réserve des plaisirs à nos derniers instants.