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Ou lui donner peut-être un corset chamarré,
Des beautés du canton tristement admiré.
Vous allez renverser sur leurs rameaux antiques
Les chênes dévoués à vos dieux domestiques,
Vous délivrez un champ de grès embarrassé,
Ou l’entourez de pieux & d’un large fossé.
A ces jours si remplis succède la soirée,
Et votre cœur content n’en craint pas la durée ;
Un facile travail, de doux amusements,
De la longue veillée abrègent les moments.
Tantôt la serpe en main vous divisez le hêtre,
Et préparez l’appui du pampre qui doit naître ;
Tandis que votre épouse aux lueurs d’un brasier,
Dans l’ozier avec art entrelaçant l’ozier,
Précipite gaiement une chanson naïve,
Ou traîne en gémissant la romance plaintive.
Tantôt sous votre toît vos voisins rassemblés,
Entourent vos foyers de cercles redoublés ;
Là, préside un Nestor l’oracle du village ;
Il prédit au canton le beau tems & l’orage,
Et perçant l’avenir de saisons en saisons,
Il prévoit l’abondance, ou de tristes moissons ;
Des astres, qu’il vous nomme, il connoît l’influence,
Et répand à son gré la crainte ou l’espérance.
Son voisin l’interrompt pour parler à son tour,
Et fait de longs récits ou de guerre ou d’amour.
De l’antique férie on raconte une histoire ;
L’orateur qui la croit, l’atteste & la fait croire.
Un spectre, dit l’un d’eux, paroît vers le grand bois ;
Le jour de la tempête on entendit sa voix ;
Un autre en fait d’abord la peinture effrayante,
Le crédule auditoire est saisi d’épouvante ;
Le silence & la peur augmentent par degré,
Et plus près du foyer le cercle est resserré.
Mais pendant ces récits la robuste jeunesse
Se livre sans contrainte à sa vive allégresse ;
La musette champêtre & l’humble chalumeau
Ont rassemblés le soir les galants du hameau,