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Que n’a-t-il point tenté dans sa carrière immense ?
Lui seul réunit tout, la force & l’abondance,
Le goût, le sentiment, les graces, la gaieté ;
Le premier de son siècle il l’eût encor été
Au siècle de Leon, d’Auguste & d’Alexandre.
Je ne puis plus, hélas ! Ni le voir, ni l’entendre ;
Perdu pour ses amis, il vit pour l’univers ;
Nous pleurons son absence en répétant ses vers ;
Je lui devrai du moins de vivre avec moi-même,
Et de nourrir en moi le goût des arts que j’aime ;
A ce grand homme encor je devrai mes plaisirs.
Mais tandis que l’étude occupe mes loisirs,
Lorsque je goûte en paix mon bonheur solitaire,
Il le faut avouer, du stupide vulgaire
Les plaisirs de l’esprit sont encor ignorés ;
Tout mortel est sensible, & peu sont éclairés.
O vous, cultivateurs des campagnes fertiles,
Vous, qui sçaviez jouir de leurs beautés utiles,
Tant que les vents du nord ont respecté nos champs ;
Vous, que rendoient heureux la nature & vos sens,
Comment remplacez-vous les doux parfums de Flore,
L’émail des gazons frais, les couleurs de l’aurore ?
Dites par quels secours, quels jeux & quels travaux
Vous combattez l’hiver & l’ennui du repos ?
Vous ne les craignez pas : vos jours toujours semblables,
Coulent dans des plaisirs simples, inaltérables ;
Votre esprit est tranquille, il sçait de mois en mois
Attendre la nature, en écouter la voix ;
Vos jours sont occupés ; la gerbe descendue
Sur l’argile applanie est déja répandue ;
Sous vos coups mesurés les épis écrasés
Laissent sortir le grain de ses liens brisés ;
Bientôt dans la cité vous irez le conduire ;
Des nouvelles du tems vous pourrez vous instruire,
Et le jour de la fête, aux pieds du grand ormeau,
Charmer de vos récits le peuple du hameau.
Vous pourrez apporter le ruban, la dentelle,
Dont se pare aux bons jours votre épouse fidelle,