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Revenu sur la terre, à ce point invisible,
Qui décrit dans l’espace un trait imperceptible,
J’observois les ressorts, les mœurs des animaux ;
Je sçavois dans leur rang placer les végétaux ;
J’étois ravi de voir à travers un méandre
La sève en circulant s’élever & descendre ;
J’appris pourquoi les mers, malgré la pésanteur,
Vont deux fois en un jour du pôle à l’équateur ;
Je cherchois dans les airs les causes du tonnerre ;
J’aurois voulu percer le centre de la terre,
Voir sous la main du tems les marbres s’y former,
Et sous les monts tremblants les métaux s’enflammer.
Mais c’est l’homme aujourd’hui que j’aspire à connoître :
Je cherche à pénétrer les secrets de son être,
A retrouver en lui ces principes des mœurs
Qu’ont altérés le tems, nos loix & nos erreurs.
J’ouvre dans ce dessein les fastes de l’histoire :
Ces monuments confus de misère & de gloire
Me montrent des états l’un par l’autre abattus,
Le choc des nations, & trop peu de vertus ;
Mais j’y vois les beaux arts & la philosophie
Passer d’un peuple à l’autre & consoler la vie.
Souvent les voyageurs m’entraînent sur leurs pas :
J’erre avec Magellan de climats en climats ;
Sur l’escadre d’Anson je traverse les ondes ;
Je compare les loix & les mœurs des deux mondes.
J’aime à voir ces beaux lieux où les vents alizés
Déposent la fraîcheur sur les champs embrasés,
Où tout naît, tout mûrit, sans art & sans culture,
Où l’homme reçoit tout des mains de la nature ;
Les arbres des forêts portent ses aliments ;
Le froid n’offense point son corps sans vêtements ;
La nuit dans un hamac qu’il suspend au branchage,
Le jour errant sans soins, ou couché sous l’ombrage,
Il est triste, indolent, sans mœurs & sans bonté ;
Son ame s’endurcit dans sa stupidité ;
Nul besoin n’éveillant sa sombre léthargie,
Ainsi que sans lumière elle est sans énergie.