Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/137

Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais ne peut-on jouir sans songer à s’instruire ?
Les muses, les amours, unis pour me séduire,
M’enlevent à l’instant dans un monde enchanté,
Où tout vante, respire & peint la volupté.
Melpomene est ici plus tendre que terrible ;
C’est au plaisir d’aimer qu’elle me rend sensible.
Quels sons harmonieux ! Quels tableaux ravissants !
Tous les arts à la fois séduisent tous mes sens ;
Les chants & les beaux vers ont charmé mon oreille ;
Mes regards sont conduits de merveille en merveille ;
Je descends de l’Olympe au bord des vastes mers ;
Je vois les champs de Mars, & la nuit des enfers ;
Je leur vois succéder de riants paysages,
Où de jeunes beautés dansent sous les ombrages ;
Leurs pas pleins de mollesse irritent mes desirs,
Leurs bras voluptueux m’invitent aux plaisirs ;
Ici, les spectateurs, ce choix d’un peuple aimable,
Sont encor à mes yeux un spectacle agréable.
C’est vous, sexe charmant, à qui ce peuple heureux
Doit ces jeux si brillants, ces théâtres pompeux.
Lorsque le grand Louis suspendoit ses conquêtes,
Tous les arts concouroient à vous donner des fêtes ;
Les talents rassemblés célébroient dans sa cour
Ses victoires, ses goûts, vos charmes & l’amour.
Des mœurs & des plaisirs arbitres éclairées,
Vous avez en tout tems illustré nos contrées.
Vous changiez en héros nos stupides ayeux ;
C’étoit pour mériter un regard de vos yeux,
Qu’ils couroient ou défendre, ou venger l’innocence :
Un mot de votre bouche étoit leur récompense.
Le vaillant paladin vous consacroit son bras,
C’est vous qu’il invoquoit au milieu des combats ;
Il vous rendoit un culte, & ces honneurs suprêmes
Vous élevoient encor au-dessus de vous-mêmes ;
Illustres par vos choix, & non par vos rigueurs,
Vous cédiez noblement à de nobles vainqueurs.
Des amants respectés vous rendoient respectables ;
Vous faisiez plus pour eux, vous les rendiez aimables.