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Opposez des excès, hâtez-vous de saisir
Un seul instant de joie, un moment de plaisir.
Entrez dans ces sallons où de bruyants protées
Echangent en riant leurs formes empruntées,
Où la nuit, le tumulte & les masques trompeurs
Font naître à chaque instant d’agréables erreurs ;
Là, le maintien décent, la froide retenue
N’imposent point la gêne à la joie ingénue ;
Là, les sexes, les rangs, les âges confondus
Suivent en se jouant la folie & Momus.
O doux amusement d’une aimable jeunesse !
Dans les jours de l’hiver vous charmiez ma tristesse,
Lorsque j’étois encor à la fleur de mes ans ;
Mais aujourd’hui les arts, les muses, les talents,
Dans le tems des frimats, des vents & des orages,
Me donnent des plaisirs aussi doux & plus sages.
Je veux que mes plaisirs m’inspirent des vertus ;
J’entendrai Cornélie, Alvarès & Burrhus ;
L’ame dans ces héros se choisit des modeles,
Et s’essaye avec eux à des vertus nouvelles ;
Là, tous nos sentiments sont purs & généreux,
Là, mon cœur attendri s’attache aux malheureux :
Je voudrois m’élancer au secours de Zopire.
Que j’ai versé de pleurs sur la mort de Zaïre !
Mais ces pleurs étoient doux ; le plaisir d’admirer
Autant que la pitié me forçoit à pleurer.
O spectacles divins ! écoles respectables
Du véritable honneur, des vertus véritables !
Théâtre, où pour instruire & les grands & les rois,
L’auguste vérité fait entendre sa voix,
Pourrai-je vous quitter pour les jeux de Thalie ?
Oui, d’aimables censeurs de l’humaine folie
Vont sur une autre scene amuser mon loisir,
Et déguiser encor leurs leçons en plaisir ;
Ils nous ont délivrés des gothiques usages,
Des antiques travers, du vernis des vieux âges,
Ils corrigent en nous ces défauts, ces erreurs,
Qui pourroient altérer les charmes de nos mœurs.