Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/131

Cette page n’a pas encore été corrigée

S’instruit à triompher des horreurs des saisons :
Il marche d’un pas lent, hérissé de glaçons,
Où dans un antre obscur, fiérement impassible,
Il oppose au besoin son courage infléxible.
Les tyrans des forêts par la faim dévorés,
Impatients du meurtre & de sang altérés,
Quittent pendant la nuit les bois & les montagnes :
Ils courent en fureur à travers les campagnes ;
Ils osent s’élancer sur l’homme épouvanté :
Ce roi de l’univers, sa grace & sa fierté,
Ce front où de son rang la noblesse est empreinte,
Ne leur inspire plus le respect & la crainte.
Ces monstres affamés cherchent dans les tombeaux
Des ossements poudreux ou d’horribles lambeaux.
On entend quelquefois des cris lents & funèbres,
Des hurlements affreux rouler dans les ténèbres,
Et se mêler dans l’air aux tristes sifflements
Qui partent d’un vieux dôme ebranlé par les vents :
Ces funestes concerts que les monts réfléchissent
Semblent être l’écho des mânes qui gémissent.
Le lâche qui poursuit l’innocent opprimé,
L’ingrat qui blesse un cœur dont il étoit aimé,
Le perfide assassin, le monstre sanguinaire,
Qui plongea le couteau dans le sein de son frere,
Croit voir en ce moment les spectres des enfers,
Et leurs lugubres jeux couvrir les champs déserts :
Leurs longs gémissements, leurs clameurs lamentables,
Rétentissent dans l’ombre au fond des cœurs coupables.
Ah ! Si l’ami des loix, le juste est sans remords,
S’il n’entend point les cris des démons ou des morts,
Il déplore, il ressent ces fléaux innombrables
Qu’accumule l’hiver sur nos jours misérables.
O toi, qui fis nos sens, toi qui formas nos cœurs,
Ou rends-moi moins sensible, ou suspens tes rigueurs,
Dieu qui disposas tout, Dieu dont les mains fécondes
Ont tiré du néant les soleils & les mondes,
Ne pouvois-tu de l’homme écarter les douleurs ?
Glacé par les frimats, brûlé par les chaleurs,