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Je vois l’astre du jour, dont la flamme rougeâtre
Eclate à l’orient sur l’horison bleuâtre :
Il nous lance un moment quelques traits impuissants ;
Le souffle de Borée a pénétré mes sens.
La nuit revient d’abord augmenter la froidure ;
Des chaînes de crystal vont charger la nature ;
Déja je n’entends plus la course des ruisseaux ;
La cascade muette a suspendu ses eaux :
Le berger qui la voit au lever de l’aurore,
L’observe en écoutant & croit l’entendre encore.
Les glaçons réunis sur les vastes étangs,
Renferment sous un mur leurs tristes habitants.
Le fleuve est arrêté dans sa course rapide,
Il tente de briser sa surface solide ;
Contre ses fers nouveaux vainement mutiné,
Sous le crystal vainqueur il roule emprisonné.
L’hiver, l’ombre & la mort étendent leur empire,
Leur joug s’apésantit sur tout ce qui respire ;
Des nuages glacés suspendus dans les airs,
D’un voile épais & noir couvrent les champs déserts,
Et la voûte des cieux qui semble être abaissée,
Dépose avec lenteur la vapeur condensée.
Le fermier qui parcourt les guérets confondus,
Au milieu de ses champs ne les reconnoît plus.
Une vaste blancheur, sur le monde étendue,
Est la seule couleur qu’il présente à la vue ;
Ce voile universel dérobe à tous les yeux
Les ouvrages de l’homme, & les bienfaits des dieux ;
Et c’est à ce moment que la terre engourdie
De l’élément du feu ne reçoit plus la vie.
Les végétaux mourants sous la neige enfermés,
N’offrent plus la pâture aux êtres animés.
J’ai vu de la forêt l’hôte le plus sauvage
Courir de son asyle au centre du village.
Innocents animaux, avez-vous oublié
Et les pièges mortels, & l’homme sans pitié ?
Hélas ! L’homme ou la faim vont leur ôter la vie.
L’ours, au sein des frimats de la libre Helvétie,