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Je vis, ou je crus voir l’ordre de l’univers.
Ces orages, disois-je, & ces tristes hivers,
Nos maux & nos plaisirs, nos travaux & nos fêtes,
Les frimats, les chaleurs, les beaux jours, les tempêtes
Sont dans l’ordre éternel l’un à l’autre enchaînés ;
Ils naissent de leur cause aux jours déterminés,
Et par ces changements la sagesse infinie
Dans l’univers immense entretient l’harmonie.
Les vents qui sur ces mers tourmentoient ces vaisseaux,
Sur un rivage aride ont apporté les eaux ;
Les esprits sulphureux, les sels, l’huile étérée,
Dispersés par ces vents de contrée en contrée,
Rajeunissent la terre, & vont rendre féconds
Ces champs couverts de chaume, usés par les moissons.
Hiver, cruel hiver, toi qui sembles détruire,
Tu rends à nos sillons la force de produire :
Tandis que sur ces bords tu répands les frimats,
Le globe des saisons va sur d’autres climats
Renouveller la vie, & varier l’année.
Soleil, marche, & poursuis ta carrière ordonnée ;
Nous te verrons dans peu recommencer ton cours,
Et ramener encor la joie & les beaux jours ;
Voulons-nous jouir seuls de ta clarté féconde,
Que doivent partager tous les peuples du monde ?
C’est ainsi que d’un dieu méditant les desseins,
J’admirois ce grand tout, ouvrage de ses mains,
Et j’apprenois du moins à subir sans murmure
Ces rigueurs d’un moment qu’a pour nous la nature.
Les airs étoient sereins ; des soleils radieux
Sémoient de leurs traits d’or le bleu sombre des cieux :
Mais Borée apporta ces frimats invisibles,
Ces atomes perçants, ces dards imperceptibles
Qui font sentir du froid la mortelle âpreté.
Ils couvrent les gazons d’un duvet argenté,
Ils délivrent les airs de la vapeur humide
Qui retombe en crystal sur le limon solide.
Je le sens au matin ce limon condensé,
Résister sous mes pas dans le chemin glacé ;