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Les oiseaux des forêts ne chantent plus l’amour ;
On peut cesser d’aimer. ô si toi-même un jour ! ...
Ah ! Lubin, gardes-toi de soupçonner Rosette ;
Rassure-la plutôt, son ame est inquiète ;
Je ne sçais quelle peur a saisi mes esprits,
Mais je crains ; ces vallons, ces bois, ces champs flétris :
Ce bruit sourd & lointain, ce ciel couvert d’orages,
Sont peut-être pour nous de funestes présages ;
Nous sommes menacés : oui, répondoit Lubin,
Nous ne nous rendrons plus sur ce côteau voisin ;
Nous vivrons au hameau ; mais, si tu m’es fidelle,
Je supporterai tout ; hélas, lui disoit-elle,
Je t’aimerai toujours, mais je te verrai moins ;
Et puis dans le village il est tant de témoins :
Nous ne serons plus seuls. Le couple aimable & tendre
S’apperçut que la nuit commençoit à descendre ;
Il reprend, en rêvant, le chemin du hameau,
Et près de la forêt il rencontre un tombeau.
Ils s’arrêtent tous deux ; leur vue & leurs pensées
Sur ce lugubre objet restent long-tems fixées.
Tous deux, sans se parler, le corps sans mouvement,
Demeurent appuyés au fatal monument ;
Enfin, les yeux remplis des pleurs qu’ils vont répandre,
Ils jettent l’un à l’autre un regard triste & tendre ;
Et tous deux pénétrés de douleur & d’amour,
Jurent de s’adorer jusqu’à leur dernier jour.
Votre âge, heureux enfants, l’amour & son ivresse,
Vont bientôt de vos cœurs dissiper la tristesse ;
Eh ! Quelle est la douleur que ne pourroit charmer
Le bonheur d’être jeune, & le plaisir d’aimer ?
Mais quand on a passé le printems de la vie,
Comment se dérober à la mélancolie,
Dans des champs dévastés par les vents en courroux ?
Au bruit des ouragans prêts à fondre sur nous ?
Quand tous les animaux tremblent dans leurs asyles,
Ou vont chercher au loin des climats plus tranquilles ?
Comment reprendre alors sa force & sa gaité ?
Auprès de ses amis, au sein de la cité.