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De Ch*** expirant je vois encor l’image,
Je le vois à ses maux opposer son courage ;
Penser, sentir, aimer, au bord du monument,
Et jouir de la vie à son dernier moment.
Objet de mes regrets, ami fidèle & tendre,
J’aime à porter mes pleurs en tribut à ta cendre ;
Malheur à qui les dieux accordent de longs jours !
Consumé de douleurs vers la fin de leur cours.
Il voit, dans le tombeau, ses amis disparoître,
Et les êtres qu’il aime arrachés à son être ;
Il voit, autour de lui, tout périr, tout changer ;
A la race nouvelle il se trouve étranger ;
Et lorsqu’à ses regards la lumière est ravie,
Il n’a plus en mourant à perdre que la vie.
Cette idée est affreuse, & j’aime à m’y livrer ;
Je cède avec plaisir au besoin de pleurer ;
Sous un ciel ténébreux, loin du bruit & du monde,
Je cherche un aliment à ma douleur profonde :
Mais la même tristesse entre dans tous les cœurs ;
Ceux même, de qui l’âge écarte les langueurs,
Ceux qu’amusent encor l’erreur & l’espérance,
Sentent moins le plaisir de leur douce existence.
La naïve Rosette & le jeune Lubin
S’aimoient, vivoient contents, sans soin du lendemain ;
Tous deux, un soir d’automne, au bord de la prairie
Où leurs brebis paissoient l’herbe humide & flétrie
Ils entendoient rugir la voix des aquilons,
Et les eaux des torrents gronder dans les vallons ;
Ce bruit les attristoit ; le berger, sa compagne
Portoient, en soupirant, les yeux sur la campagne.
Rosette tout-à-coup s’élança vers Lubin ;
Son amant attendri la pressa sur son sein ;
Au plaisir de s’aimer, tous deux ils se livrèrent,
Et, sans se dire un mot, long-tems ils s’embrassèrent :
Mais un trouble inconnu, de tristes sentiments
Jusque dans leurs plaisirs poursuivoient ces amants.
Tu vois, disoit Lubin, l’état de la nature :
Il n’est plus de berceaux, ni de lits de verdure ;