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Dans les champs d’Albion, sur un sable infertile,
C’est toi, qui le premier, fis répandre l’argile,
Fécondas l’un par l’autre, & du mêlange heureux
Vis naître les moissons sur un fonds sabloneux.
Au sol qu’une huile épaisse humecte, & rend solide
C’est toi, qui le premier mêlas le sable aride,
Par ses angles tranchants le limon divisé,
Laissa sortir le bled du champ fertilisé.
C’est toi, qui le premier instruisis ta patrie
A revêtir les monts des dons de la prairie ;
A contraindre les champs depuis peu moissonnés,
D’offrir une herbe tendre, aux troupeaux étonnés.
L’agriculteur anglois, que l’état encourage,
Bientôt de tes leçons apprit à faire usage.
Dans de plus beaux climats, le peuple des hameaux
Rendu stupide enfin, par l’excès de ses maux,
Ne sçait point par son art seconder la nature ;
L’habitude & l’instinct dirigent sa culture.
Il n’invente jamais, il tremble d’imiter,
Pour cesser d’être pauvre il n’ose rien tenter
Et traînant, à regret, sa vie infortunée,
Il pense qu’aux douleurs les dieux l’ont condamnée.
Allez, peuples des champs, faire entendre vos voix,
Jusque dans cet asyle où résident vos rois ;
Allez au pied du trône exposer vos misères ;
Des enfants malheureux se plaignent à leurs pères.
Opprimés, diroit-il, dans tes vastes états,
O roi ! Nous gémissons, nous ne murmurons pas ;
Ton peuple est accablé sous un joug qu’il adore,
Et sçait dans ses malheurs que son roi les ignore.
En traçant ces sillons qu’arrosent nos sueurs,
Nous aimons la patrie, & formons ses vengeurs ;
Ils iront de leur sang t’acheter la victoire,
Et mourir inconnus pour augmenter ta gloire.
Citoyens oubliés, dans la poudre abattus,
Nous avons conservé le dépôt des vertus ;
Et le ciel qui nous livre à l’horrible indigence,
Pour nous en consoler, nous laissa l’innocence.