Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/104

Cette page n’a pas encore été corrigée

Le jeune enfant s’essaie aux vertus qu’il admire,
Le père s’applaudit des vertus qu’il inspire.
Souvent, dans un sallon propre & non fastueux
Il admet à sa table un ami vertueux ;
Son domaine a produit le festin qu’il ordonne,
Et sans l’art de Comus le besoin l’assaisonne :
Le rapport des esprits unit les conviés ;
L’épanchement des cœurs que l’estime a liés,
L’enjouement sans folie, & l’amour sans foiblesse,
De l’amour paternel la sainte & douce ivresse,
Des serments de s’aimer que le cœur a dictés,
De ces sobres festins voilà les voluptés.
O vous ! ô mes amis, en qui j’ai vu renaître
Des mœurs de nos aïeux la majesté champêtre
Ch*** couple heureux, respectables époux,
J’ai chanté les vertus que j’admirois en vous.
Mais le sombre horison se refuse à l’aurore,
Et rend douteux long-tems le jour qui vient d’éclore.
Des nuages épais sur les champs descendus
Entourent de la nuit les objets confondus ;
Immobiles sur l’onde, & fixés sur la plaine,
Ils dérobent l’espace à la vue incertaine ;
L’imprudent voyageur de sa route égaré
Poursuit, dans l’ombre humide, un sentier ignoré.
L’astre du jour pâli répand des clartés sombres,
Son disque sans rayons se montre dans les ombres,
Ce voile nébuleux ajoute à sa grandeur ;
Mais le soleil l’entrouvre, il reprend sa splendeur ;
Il argente les cieux, dont les vapeurs légères
Promenent sur les champs leurs ombres passagères.
L’Aquilon les emporte au sommet du Taurus,
Il en couvre l’Atlas, les Alpes, l’Immaüs ;
Sans cesse il entretient par des vapeurs nouvelles
De leurs sommets glacés les neiges éternelles.
Fleuves majestueux, ce sont-là vos berceaux,
Et l’urne intarissable où vous puisez les eaux.
Vous les versez d’abord dans de sombres vallées,
Vous frappez à grand bruit des rives désolées,