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Aimé dans son domaine, inconnu de ses maîtres,
Habite le donjon qu’habitoient ses ancêtres !
De l’amour des honneurs il n’est point dévoré,
Sans craindre le grand jour, content d’être ignoré,
Aux vains dieux du public il laisse leurs statues,
Par l’envie & le tems si souvent abattues.
Pour juge il a son cœur, pour amis ses égaux,
La gloire ou l’intérêt n’en font pas ses rivaux ;
Il peut trouver au moins dans le cours de sa vie
Un cœur sans injustice, un ami sans envie.
Il ne s’égare point dans ces vastes projets
Qui tourmentent le cœur incertain du succès ;
Il ne peut être en butte à ces revers funestes
Qui souvent de la vie empoisonnent les restes ;
Elever ses troupeaux, embellir son jardin,
Plutôt que l’agrandir féconder son terrein,
Par sa seule industrie augmenter sa richesse,
Voilà tous les projets que forme sa sagesse ;
Il ne veut qu’arriver au terme de ses jours,
Par un chemin facile, & qu’il suivra toujours.
La Chine & le Japon, l’aiguille & la peinture
N’ornent point ses lambris d’une vaine parure ;
On y voit les portraits de ses sages aïeux ;
Ils vécurent sans faste, il veut vivre comme eux ;
Il regarde souvent ces images si chères,
Qui parlent à son cœur des vertus de ses pères.
Peut-il avoir besoin que le luxe & les arts
De leur pompe frivole amusent ses regards ?
N’a-t-il pas des ruisseaux, son verger, la prairie ?
N’a-t-il pas des beautés que chaque instant varie ?
L’opale & l’incarnat d’un matin radieux,
L’or, le pourpre, & l’azur du couchant nébuleux,
Où son œil cherche en vain la première nuance
De l’émail qui finit, de l’émail qui commence ?
N’a-t-il pas des guérets par des bois terminés ?
Un fleuve & des étangs de saules couronnés ?
Il voit l’astre du jour y traçer son image,
Et l’habitant de l’air y marquer son passage.