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Hélène saute, et le lâche Hippolite
Lui porte un coup, remonte, et prend la fuite.
« Les Dieux, dit-elle, en volant sur ses pas,
« À mon courroux ne t’arracheraient pas ».
Dans sa fureur, en cercles elle agite
Sa longue pique, et d’un bras détendu,
Avec élan et la pousse et la quitte.
Marc Hippolite entendit éperdu
Le sifflement, et comme un coup de foudre
Le trait frappant le jeta sur la poudre ;
Dans l’étrier il reste embarrassé.
Son palefroi, qu’emporte l’épouvante,
Traine en tous lieux le cadavre froissé,
Laissant par-tout une trace sanglante
Du fer tremblant dont il était percé.
Le mouvement d’une pitié guerrière
Ramène Hélène auprès de Lesdiguière.
Elle s’avance ; il respirait encor :
Elle défait son casque formidable,
Qui laisse voir une figure aimable :
Ses cheveux blonds descendent à flots d’or.
Sous les croissans de deux sourcils d’ébène,
Un mouvement et pénible et douteux,
Laisse entrevoir l’azur de ses beaux yeux.
À cet aspect. la redoutable Hélène
Sentit bientôt s’évanouir sa haine.
De la vengeance et du ressentiment,
Il n’est qu’un pas à l’amitié souvent
« Jeune Guerrier, dit alors l’Amazone,
« Meurs innocent, et mon cœur te pardonne.
« Dieu m’est témoin que j’ai vengé ta mort ;
« Cette faveur te vient d’une ennemie,
« Qui, si sa voix pouvait toucher le sort,
« À prix de sang rachèterait ta vie.
« Ainsi ce Franc, patriote sans foi.
« Fut plus cruel que moi-même envers toi.
« Le Dieu fatal qu’adore ta patrie,
« Ce Dieu sanglant protège donc l’impie ?