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Le Roi des Francs, par sa valeur pressé,
Brûlait d’atteindre au rivage opposé.
Fier de son poids, son cheval intrépide
Fendait les eaux d’une course rapide ;
Autour de lui les vagues blanchissaient
Et devant lui d’effroi se partageaient.
Rempli d’ardeur, il gravit le rivage,
Frappe du pied, bondit superbement ;
Son œil en feu, son fier hennissement
Semblent d’avance appeler le carnage.
Pour contempler nos Gentilshommes francs,
Du Rhin alors les Néréides blondes
Quittent le sein de leurs grottes profondes.
Las ! au travers de la gaze des ondes,
Elles dardaient leurs yeux étincelans,
En conjurant quelque terrible orage,
Et se disant, qu’ils fassent donc naufrage !
Tempêtes, vents, bouleversez les flots,
Et dans nos bras adressez ces Héros !
Charles marchait, sa fortune pour guide :
Tout reposait dans un calme perfide
Chez les Saxons. Salamane, éveillé
Par le souci dont il est accablé,
Entend un bruit de coursiers dans la plaine ;
Au clair de lune il reconnait les Francs,
Qui s’avançaient et marchaient à pas lents.
« Je puis enfin humilier Hélène,
« Dit le Guerrier, et lui rendre l’affront
« Dont son envie a fait rougir mon front.
« Tout dort ici ; sans moi le Roi de France
« Nous eùt encore occis sans résistance,
« Et tout le sang de ce peuple égorgé
« Aurait lavé mon honneur outragé.
« Mais je veux vaincre en ce péril extrême,
« Et les Gaulois, et l’envie, et moi-même ».
À ce discours, il monte un palefroi,
Parcourt le camp, galope, jure, crie :
À l’ennemi, soldats, à la patrie !