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Mais sa folie avait un caractère
Particulier. De fous environné,
Par le torrent il était entraîné,
Et respirait la folie étrangère.
Quelque Séjan est-il entré chez lui ?
Charles doit être un tyran aujourd’hui.
Si quelque sage, il sera magnanime ;
Si quelque Prêtre, il est pusillanime.
Jouet enfin des divers mouvemens
De sa folie et de celle des gens,
Charles parait souvent, à la même heure,
Bon et cruel, fait le mal, puis le pleure.
Il résolut, dans un certain moment,
D’aller forcer les Saxons dans leur camp.
Au nom du Ciel, Ebbo, le grand Prophète,
Vint lui prédire une entière défaite,
S’il combattait sans le palladion.
Charles lui dit : Oui, vous avez raison ;
Mais ordonna qu’aussi-tôt la nuit close,
On se tînt prêt à traverser le Rhin.
Le jour s’enfuit, la nuit vient, tout repose :
Chez les Saxons on s’avance soudain.
Quelques forêts antiques et sauvages,
Du Rhin alors ombrageaient les rivages.
Là le Druïde adorait Teutatès.
De ce séjour l’horreur et le silence
Semblaient des Dieux annoncer la présence,
Et rappelaient ces siècles fortunés
Où, sous le poids des pompeux édifices,
Nos bords heureux n’étaient point asservis.
Pour les vertus, des bois furent choisis ;
L’on a bàti pour honorer les vices.
À la faveur de l’ombre et des forêts,
Charle aux Saxons déroba ses projets :
Bientôt le Rhin se présente à sa vue,
Et dans les eaux déjà les bataillons,
Et les coursiers, et les fiers escadrons
Brouillent du Ciel l’image confondue.