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Il se disait, mon frère est bien changé.
Contes d’amour abrégeaient le voyage ;
L’aube naissante égayait les Sylvains,
Et la Nature, et nos trois Pèlerins.
Mais repassons sur un autre rivage ;
Le Rhin sanglant m’appelle sur ses bords ;
Chantons l’honneur, la sottise et les morts.


CHANT VI

ARGUMENT

Comment la Folie fit tourner la tête aux Gaulois ; comment Charles passe le Rhin, pour surprendre l’ennemi ; comment ils se battirent.


Pour le malheur des cervelles de France,
Dame Folie avait dans nos climats
Fixé son char, et l’esprit de démence
Avait gagné Ministres, Magistrats,
Prêtres et Clercs, Généraux et Soldats.
Ils étaient fous, mais selon leur richesse,
Selon leur rang, leur pouvoir, leur noblesse.
Tous n’avaient pas le moyen d’être fous.
Le muletier, avec un cœur jaloux,
Du Financier enviait l’ânerie,
Et déplorait sa mesquine folie ;
Le Colonel enviait le Séjan :
De balourdise enfin en balourdise,
Aucun n’était assez sot à sa guise :
Tous désiraient ; et le Prince du Sang,
Du Roi son maître enviait la sottise.
Par-ci, par-là, quelque esprit ostrogot
Se préserva de l’honneur d’être sot ;
Mais cette espèce était par-tout huée,
Comme stupide, et de sens dénuée.
Charles lui-même, autrefois si prudent,
Avait subi ce fatal ascendant ;