Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, I, 1908.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Sans doute enflés de leur gloire imparfaite,
« Nos ennemis s’avancent orgueilleux,
« Et vont bientôt reparaitre à nos yeux.
« Qui sait les maux que le sort nous apprête ?
« Qui sait bientôt si nous n’aurons en tête,
« Et les Gaulois, et même les Alains.
« Ô Vitikin ! ô douleur ! ô mon père !
« Il ne voit plus peut-être la lumière !
« Quinze ans de pleurs, d’horreur, et de misère,
« Nous ont appris à craindre les destins. »
À ce discours, Salamane s’élance.
Guerrier fougueux ; la raison, la prudence
Lui répugnaient, et ce courage altier
Ne connaissait de raison que l’acier.
« Eh quoi ! dit-il, frappant son cimeterre,
« Attendons-nous que le peuple Gaulois
« Passe le Rhin, traîne chez nous la guerre,
« Et jusqu’ici nous apporte ses lois ?
« Moi, je prétends, dût-ce être pour ma perte,
« Passer en France, et jusques dans Paris,
« Parmi le sang, les larmes, les débris,
« Laver l’affront dont la Saxe est couverte.
« Je pars : adieu ; si vous êtes Saxons,
« Suivez mes pas ; vengeons-nous, ou mourons. »
Comme il parlait, Hélène soulevée,
Le glaive nu, s’étoit déjà levée.
« Lâches, partez ; le danger est ici :
« Partez, dit-elle, et cherchez sur la terre
« Quelque désert qui vous mette à l’abri
« Et des périls et des maux de la guerre.
« Sans colorer une indigne frayeur
« Des faux dehors d’un excès de valeur.
« Il est plus court d’avouer que tu tremble,
« Et que ce camp où marche l’ennemi,
« Ne calme point ton cœur mal affermi.
« Répondez-moi, soldats : que vous en semble ?
« Son artifice a-t-il su m’éblouir ?
« C’en est assez, et vous pouvez partir ;