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Quoique baudet, dans sa rude tendresse,
Il conservait quelque délicatesse ;
La passion l’emportait cependant :
La chair, la chair, de son aiguillon roide,
Le combattait, et lui pressait le flanc ;
La chair insiste, et le pauvre âne cède.
Le tendre amour avait mis en effet
Dans son cœur faible un vigoureux projet.
Il était âne, et guerrier qui plus est.
Sur le rocher mollement étendue,
Linde découvre une cuisse charnue,
Et cependant le nerveux pénaillon
De la chair dure agitait l’aiguillon.
Amour, dit-il tendrement en lui-même,
Entre mes bras assoupis ce que j’aime.
Il s’agenouille ; au premier coup de rein,
La Belle saute, et s’éveille soudain.
Elle s’éveille, ô fantôme ! ô surprise !
Un âne en pleurs, un âne à ses genoux !
Ses sentimens, qu’il rendait à sa guise,
Dans ses regards je ne sais quoi de doux,
L’air de vertu, de honte, de franchise,
Et ne sais quoi qui toujours sympathise,
Font soupçonner à l’avide Beauté
L’enchantement, Sornit, la vérité.
Au cou de l’âne elle vole en liesse.
« Mon ami cher, est-ce toi que je presse,
« Est-ce bien toi ? » Sornit, avec candeur,
D’un haut-le-corps confirma son bonheur.
Alinde avait une bague magique,
Dont la vertu, soit du Diable ou du Ciel,
Rendait à tout son état naturel.
Linde peut-être eût aimé le bourique ;
Son cœur éprouve un aimable combat ;
Mais de sa voix elle craignait l’éclat.
Changeons sa tête ; elle touche, elle change.
Que de baisers donnés, puis confondus,
Précipités, redemandés, rendus !