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Comme Piis sur un baudet du Pinde,
Sans aventure arrive avant la nuit,
Dans le désert où dormait Adelinde.
Ce ne sont plus ces rochers sourcilleux
Qui menaçaient les Enfers et les Cieux,
Ces champs brûlés où mourait l’espérance,
Et tout remplis d’un farouche silence :
Une autre fois vous apprendrez comment
Un merveilleux et rare enchantement,
De ce désert effroyable et sauvage
Fit tout à coup un riant paysage.
Mille bosquets s’élèvent dans les champs,
La terre prend une face nouvelle ;
Là des oiseaux par les airs gazouillans,
Là des ruisseaux où Phébus étincelle :
L’on voit flotter sur la tête des monts,
Des ormeaux verts où paissent des moutons.
L’âme s’élève, une illusion tendre
Peuple ces bois de Nymphes, de Sylvains,
D’une Driade elle anime les pins.
Le cœur écoute, et le cœur croit entendre
Les chalumeaux, les haut-bois des pasteurs,
Et des amans les naïves langueurs.
Là Philomèle, en pleurant, se soulage.
Un beau palais domine le rivage ;
Son faîte altier s’élève dans les cieux,
Et de rubis chaque pierre incrustée
Dans l’onde au loin va répéter ses feux.
Linde dormait ; à cette Isle enchantée
Il ne manquait que l’éclat de ses yeux.
Sornit d’abord, oubliant qu’il est âne,
Porte à sa bouche une lèvre profane,
Et d’un pied dur potèle ses appas.
Linde pourtant tu ne t’éveillais pas !
L’âme souvent, par la peine absorbée,
Aux sens flétris semble être dérobée.
L’âne hésita s’il userait des droits
Dont en ce cas il usait autrefois.