Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, I, 1908.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Malgré la gràce, et son Ange gardien.
Ayant donc pris congé de Charlemagne,
En l’embrassant, il se mit en campagne,
Pour toute suite ayant cet écuyer,
L’Ange gardien, et George l’Aumônier.
Organt trottait sur un cheval d’Espagne,
Impétueux, ardent à batailler.
Messire George, avec un air altier,
Et l’écuyer, qu’on nommait Jean Champagne,
Sur des roussins à l’envi cheminaient,
Qui, fiers du poids, les oreilles dressaient,
Et la poussière autour d’eux amassaient.
Organt battit plaines, forêts, collines ;
Le nom Turpin s’entendit en tous lieux,
Le nom Turpin retentit jusqu’aux cieux.
Il chemina vers les cités voisines.
Après cela, que faire ne sachant,
Il s’en revint devers cette rivière
Dont j’ai parlé, quelque soupçon ayant
Qu’il aurait pu s’y noyer en passant.
Mais s’il péchait, il vivait cependant :
Un mille ou deux il suivit le courant,
Cherchaut parmi les aulnes, la bruyère,
Et d’oncle point. Il sonna de son cor,
Pour appeler cette Nymphe perfide,
Qui, plus cruelle et plus aimable encor,
Parut bientôt sur la plaine liquide,
Avec un air craintif, mais séduisant,
Et ses beaux yeux de son voile couvrant.
« Cruels, eh quoi ! dit-elle en soupirant,
« N'êtes-vous point contens d’un seul outrage ?
« Vos cœurs sont-ils à la pitié si sourds,
« Qu’ils aient juré de m’affliger toujours ?
« Si vous avez ce barbare courage,
« Cherchez ailleurs quelque ennemi sauvage,
« Digne de vous, et qui puisse opposer
« À vos fureurs, à vos farouches armes,
« D’autres combats que de timides larmes,