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Obscurité, grandeur, pauvreté, rang.
Pour annoncer la majesté royale,
Je ne voudrais ni gardes, ni faisceaux.
Que Marius annonce sa présence
Par la terreur et la clef des tombeaux ;
Je marcherais sans haches, sans défense,
Suivi de cœurs, et non pas de bourreaux.
Si mes voisins me déclaraient la guerre,
J’irais leur dire : « Écoutez, bonnes gens ;
« N’avez-vous point des femmes, des enfans ?
« Au lieu d’aller ensanglanter la terre,
« Allez vous rendre à leurs embrassemens ;
« Quittez ce fer et ces armes terribles,
« Et comme nous, allez vivre paisibles ».
Mon peuple heureux, mais heureux dans ses ports,
Sans profaner, aux rives étrangères.
Sa cendre due aux cendres de ses pères,
S’enrichirait de ses propres trésors.
Et fleurirait à l’ombre respectable
Des vieilles lois de nos sages aïeux,
Arbres sacrés, recours des malheureux,
Sans que jamais mon sceptre audacieux
Osât flétrir leur mousse vénérable.
Je laisserais le Turc et le Huron
Se faire un Dieu chacun à leur façon,
Bien pénétré du sublime système
Que Dieu n’est rien que la sagesse même,
Et que l’honneur, la vertu, la raison,
Bien avant nous, dans Émile et Caton,
Valaient leur prix, sans le sceau du baptême.
Si Charlemagne eût comme moi pensé,
Il aurait eu maints déplaisirs de reste.
Devers le Rhin il s’était avancé,
Toujours armé pour la cause céleste.
Enflé déjà de ses exploits nouveaux,
Il s’apprêtait à traverser les flots ;
Mais de revers une invincible nue
Le menaçait : la source en est connue.