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Leur choc affreux fit retentir le ciel ;
Des chars de feu les débris voltigèrent,
Et des éclairs de l’acier immortel
De tous côtés les nuages brillèrent.
Au même instant, les damnés, les élus,
Diables et Saints se virent confondus.
Les escadrons se choquent, se dispersent,
Sur les coursiers les coursiers se renversent.
Avant que Dieu, de son souffle puissant,
Eût débrouillé l’Empire du néant,
Des élémens la guerre épouvantable,
Et leurs combats et leurs rébellions
N’expriment point le désordre effroyable
Que Mars souffloit parmi les bataillons.
On se pourfend, on s’écrase, on se perce ;
On jure, on crie, on s’avance, l’on fuit ;
On se mesure, on court, on se poursuit,
Comme les flots que le vent bouleverse.
Egale rage, égal acharnement,
Le sabre en main, là marche Foutriquant,
Tout devant lui fuit comme la poussière ;
Les Saintes, non ; car ce Diable paillard
Est chamarré, par devant et derrière,
De ces hochets qu’Heloïse trop tard
Redemandait à son cher Abailard.
De plus en plus redouble le carnage ;
L’on se blessait, mais l’on ne mourait pas.
Sur l’are-en-ciel, entouré d’un nuage,
En se signant, Jésus disait : Hélas !
Pourrai-je voir une telle furie ?
Non. À ces mots, il appelle les vents,
Trouble les airs, fait gronder les Autans,
Et d’eau bénite il répand une pluie.
Il fallait voir tous les Diables rôtis
Prendre la fuite en jetant de grands cris.
Moins promptement les vents soumis se turent,
Quand Neptunus, armé de son trident,
Leva le front sur l’humide élément.