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« Le Ciel vengeur abandonner Charlot.
« Le bon Adam, de mémoire gloutonne,
« Pour un péché damna le genre humain,
« Le Juif David perdit jadis un trône,
« Pour un baiser que sa bouche felonne
« Avait cueilli sur un teton payen ».
Las ! il s’y prit d’assez gente manière.
L’armée arrive auprès d’une rivière,
Et l’on allait s’élancer dans les flots,
Quand tout à coup une force inconnue
Fit frissonner la surface des eaux,
Et tous les cours de l’armée éperdue.
Au même instant, d’un tourbillon léger,
Qui vint au bord en cercles expirer,
L’on vit sortir une Nymphe gentille ;
Son char était en forme de coquille ;
Essaims d’Amours à l’entour voltigeaient ;
Ses beaux cheveux au gré de l’air flottaient,
Et des pigeons doucement la traînaient :
Ses yeux en pleurs parcoururent la rive.
« Hélas ! dit-elle, et d’une voix plaintive,
« Que n’avez-vous choisi quelque autre bord,
« Cœurs inhumains, pour voler à la mort,
« Sans effrayer mes rivages paisibles
« Par l’appareil de ces armés terribles,
« Et préparer à mon cœur innocent
« L’affreux remords du sort qui vous attend !
« Où courez-vous, insensés que vous êtes ?
« À des combats, des lauriers, des conquêtes ?
« Le temps a-t-il si peu de prix pour vous,
« Que de la mort vous soyez si jaloux ?
« Quand le printemps échauffe la nature,
« Quand tout respire et tout chante l’amour,
« Vous désertez vos châteaux et la Cour,
« Pour vous charger d’une cuirasse dure,
« Chercher l’honneur quand le plaisir sourit,
« Chercher la inort alors que tout revit !
« Et toi, cruel, dont la rage implacable