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« Embrassez-moi, leur dit-il en pleurant ;
« Grand Irminsul, prête-leur la sagesse,
« Et sois leur père, au lieu d’un père absent !
« Je vais aller trouver un peuple impie,
« Sans frein, sans mœurs, sans pays, et sans lois.
« Je me dévoue aux Dieux, à la Patrie,
« Et ce n’est point pour la première fois !
« Depuis trente ans j’ai blanchi sous les armes,
« Et mon visage est sillonné de larmes.
« Imitez-moi ; si je viens à mourir,
« Jurez aux Francs une haine invincible,
« Poursuivez-les jusqu’au dernier soupir,
« Et répandez sur ma tombe sensible,
« Au lieu de pleurs, le sang des ennemis ;
« Au lieu de fleurs, leurs armes en débris.
« Souvenez-vous que mon ombre indignée,
« Après ma mort, doit vivre parmi vous,
« Pour animer, pour diriger vos coups.
« Si vous cédez à la France étonnée,
« Tremblez, ingrats, tremblez ; je vous attends,
« Et j’armerai ma rage de serpens,
« Pour vous punir du bonheur de la France,
« Et de laisser Vitikin sans vengeance.
« Je pars, et laisse entre les Francs et nous,
« Le Rhin, mon nom, les Dieux vengeurs et vous ».
Le Roi de France et sa gauloise armée,
Ivres de sang, de gloire, et de fumée,
Devers le Rhin précipitaient leurs pas,
D’autant plus fous qu’ils ne s’en doutaient pas.
Pleins des vapeurs de leur sainte fortune,
Ils se flattaient de baptiser bientôt,
Et le Saxon, et le Maure, et le Got ;
Et cependant le Diable qui n’est sot,
Se flattait lui qu’il grossirait la lune
De leurs projets. Le Démon est madré,
Et quand il a par sa griffe juré,
Ce n’est en vain. « Faisons pécher la France,
« Dit Satanas, et nous verrons bientôt