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justice n’atteignait le cœur. La tête pleine d’exemples de vertus, de traits de courage, de leçons et de vérités sublimes, on était un lâche, un méchant dans le monde ; le savoir était la gentillesse du vice, et la vertu semblait être le luxe du crime.

Le gouvernement entraînait tout ; tout allait se confondre dans l’idée du prince ; l’État était rempli de professions criminelles et honorables ; c’était pour elles que travaillait l’éducation. Dans une société pareille, où il ne fallait que des voleurs, des hommes faux, déterminés à tous les crimes, l’éducation qui consistait en préceptes était oubliée au moment même qu’on entrait dans le monde ; elle ne servait qu’à raffiner l’esprit aux dépens du cœur : alors, pour être un homme de bien, il fallait fouler aux pieds la nature. La loi faisait un crime des penchants les plus purs. Le sentiment et l’amitié étaient des ridicules. Pour être sage, il fallait être un monstre. La prudence, dans l’âge mûr, était la défiance de ses semblables, le désespoir du bien, la persuasion que tout allait et devait aller mal ; on ne vivait que pour tromper ou que pour l’être, et l’on regardait comme attachés à la nature humaine ces affreux travers qui ne dérivaient que du prince et de la nature du gouvernement.

La tyrannie déprave l’homme, et par une longue altération le rend à ses propres yeux incapable du bien. Ôtez la tyrannie du monde, vous y rétablirez la paix et la vertu.

La tyrannie est intéressée à la mollesse du peuple ; elle est intéressée aux crimes ; elle est de moitié dans toutes les bassesses et les attentats ; elle arma le fils contre le père par la loi civile, elle arme les morts contre les vivants ; tout est pression et répression. C’est elle qui assassine sur un chemin par le bras d’un voleur ; c’est elle qui corrompt les cœurs et les déprave sous le joug. Elle endort l’âme humaine. Si donc un pareil ordre de choses cesse, le peuple, qui n’a plus devant les yeux cet appareil du faste qui ne corrompt pas moins le pauvre que le riche, par l’envie, le fait s’avilir par l’appât du gain, ou