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lois que pour lui, ne l’accablez point sous le faix du pouvoir. Le temps présent est plein d’illusion ; on croit que les oppresseurs ne renaitront plus : il vint des oppresseurs après Lycurgue, qui détruisirent son ouvrage. Si Lycurgue avait institué des Conventions à Lacédémone pour conserver sa liberté, ces mêmes oppresseurs eussent étouffé ces Conventions. Minos avait, par les lois mêmes, prescrit l’insurrection : les Crétois n’en furent pas moins assujettis : la liberté d’un peuple est dans la force et la durée de sa Constitution, sa liberté périt toujours avec elle, parce qu’elle périt par des tyrans qui deviennent plus forts que la liberté même.

Songez donc, Citoyens, à fortifier la Constitution contre ses pouvoirs et la corruption de ses principes. Toute sa faiblesse ne serait point au profit du peuple ; elle tournerait contre lui-même au profit de l’usurpateur.

Vous avez décrété qu’une génération ne pouvait point enchaîner l’autre ; mais les générations fluctuent entre elles ; elles sont toutes en minorité, et sont trop faibles pour réclamer leurs droits. Il ne suffit point de décréter les droits des hommes ; il se pourra qu’un tyran s’élève et s’arme même de ces droits contre le peuple ; et celui de tous les peuples le plus opprimé sera celui qui, par une tyrannie pleine de douceur, le serait au nom de ses propres droits. Sous une tyrannie aussi sainte, ce peuple n’oserait plus rien sans crime pour sa liberté. Le crime adroit plus s’érigerait en une sorte de religion, et les fripons seraient dans l’arche sacrée.

Nous n’avons point à craindre maintenant une violente domination l’oppression sera plus dangereuse et plus délicate. Rien ne garantira le peuple qu’une Constitution forte et durable, et que le gouvernement ne pourra ébranler.

Le législateur commande à l’avenir ; il ne lui sert de rien d’être faible : c’est à lui de vouloir le bien et de le perpétuer ; c’est à lui de rendre les hommes ce qu’il veut qu’ils soient : selon que les lois animent le corps social, inerte par lui-même, il en résulte les vertus ou les crimes,