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Les hommes n’ont été sauvages qu’au jugement des oppresseurs ; ils n’étaient point farouches entre eux ; mais ceux aujourd’hui qui font la guerre à la liberté ne nous trouvent-ils point féroces parce que notre courage a voulu secouer leur règne ?

Permettez-moi de développer mes idées ; elles amènent ce pas où je dois conclure : je saurai les plier à l’ordre présent des choses, et je ne refuserai point à la loi la force dont elle a besoin en prenant l’homme tel qu’il est, mais je conçois un gouvernement vigoureux, et légitime : il ne faut point songer à la politique naturelle, et ce n’est point là mon idée.

Mais je combats ce prétexte pris par les tyrans, de la violence naturelle de l’homme, pour le dominer. Et si l’homme eût été si farouche, le domineraient-ils ? Et n’avons-nous pas tous une même nature ? Qui donc fut sage et fut policé le premier ? Quelle langue parla-t-il à des bêtes qui ne communiquaient point ? Et si elles communiquaient, l’ordre social n’avait-il pas précédé de longtemps l’ordre politique ?

Montesquieu regarde comme un signe de stupidité l’épouvante d’un sauvage trouvé dans les bois mais ce sauvage qu’il dit trembler et fuir en nous voyant, tremblerait-il et fuirait-il devant son espèce et sa langue ? Les bêtes féroces pourraient aussi nous croire des sauvages, lorsque nous tremblons et fuyons devant elles.

Les hommes n’abandonnèrent point spontanément l’état social : ce fut par une longue altération qu’ils arrivèrent à cette politesse sauvage de l’invention des tyrans.

Les anciens Francs, les anciens Germains, n’avaient presque point de magistrats : le peuple était prince et souverain mais quand les peuples perdirent le goût des assemblées pour négocier et conquérir, le prince se sépara du souverain, et le devint lui-même par usurpation.

Ici commence la vie politique.

On ne discerna plus alors l’état des citoyens ; il ne fut plus question que de l’état du maître.

Si vous voulez rendre l’homme à la liberté, ne faites des