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« Ainsi mon cœur est brûlé par l’amour !
« Ô mon amant, quel effroyable espace
« En ce moment te sépare de moi !
« Que dis-je ? hélas ! mon cœur est près de toi ;
« Le tien peut-être a volé sur ma trace » !
Alinde alors poussa de longs sanglots,
Fondit en pleurs, et tomba sur le dos.
Dans ce moment d’amour et d’infortune,
Tendre Sornit, que n’étais-tu présent !
Ces yeux errans sous leur paupière brune,
Ces bras d’ivoire étendus mollement,
Ce sein de lait que le soupir agite,
Et sur lequel deux fraises surnageaient,
Et cette bouche et vermeille et petite
Où le corail et les perles brillaient.
Au Dieu d’amour tes baisers demandaient.
Quelques instans, Adelinde, plaintive,
De son amour entretint les regrets ;
Et soit le bruit des vagues sur la rive,
Soit même encor cette stupide paix
Qui naît du choc de nos troubles secrets ;
Elle dormit. Le Maître du tonnerre
Fit le sommeil exprès pour la misère.
Dans une tour, notre amant enfermé,
Voyant Alinde à ses baisers ravie :
« Amour, dit-il, Amour qui m’as charmé ;
« Ah ! suis ma Dame, et protège sa vie ;
« Rappelle-lui ses plaisirs, ses sermens ;
« Protège-la contre les maléfices,
« Contre elle-même et les enchantemens,
« Et quelquefois peins-lui tous les supplices
« Qu’elle me coûte en ces lieux effrayans.
« Quand elle dort, que ta voix lui rappelle
« Dans ces cachots que je veille pour elle ».
Comme il parlait, le tendre Chevalier
Sentit son dos en voûte se plier ;
En un poil dur sa peau douce est changée,
Ses mains d’ivoire et ses pieds rembrunis