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lieu de soixante mille étrangers dans Paris ? Que firent les États au Jeu de Paume ? Et nous mêmes, n’avons-nous pas rejeté jusqu’aujourd’hui la force armée ?

Défenseurs du roi, que nous demandez-vous pour lui ? S’il est innocent, le peuple est coupable. Il faut donc achever de répondre, puisque c’est la patrie qui est accusée par la forme de la délibération.

J’ai entendu parler d’un appel au peuple du jugement que le peuple même va prononcer par notre bouche.

Citoyens, si vous permettez l’appel au peuple, vous lui direz : Il est douteux que ton meurtrier soit coupable. Ne voyez-vous pas que cet appel tend à diviser le peuple et le corps législatif, tend à affaiblir la représentation ; et que, de la sorte, on tend à rétablir la monarchie, à détruire la liberté. Et si l’intrigue parvenait à altérer votre jugement, je vous demande, Messieurs, s’il vous resterait autre chose à faire qu’à renoncer à la République, qu’à reconduire le tyran à son palais ; car il n’y a qu’un pas de la grâce au triomphe du roi ; et de là, au triomphe et à la grâce de la royauté. Mais le peuple accusateur, le peuple assassiné, le peuple opprimé doit être juge ? Ne s’est-il point récusé lui-même après le 10 août ? Plus généreux, plus délicat, moins inhumain que ceux qui voudraient lui renvoyer le coupable, il a voulu qu’un conseil prononçât sur son sort. Ce tribunal n’a déjà que trop amolli l’opinion. Si le tyran appelle au peuple qui l’accuse, il fait ce que n’osa point Charles 1er. Dans une monarchie en vigueur, ce n’est point vous qui jugez le roi, car vous n’êtes rien par vous-mêmes, mais le peuple juge et parle par vous.

Citoyens, le crime a des ailes, il va se répandre dans l’empire, captiver l’oreille du peuple. Ô vous, les dépositaires de la morale publique, n’abandonnez pas la liberté ! Lorsqu’un peuple est sorti de l’oppression, le tyran est jugé. On fera tout pour amener le peuple à la faiblesse par la terreur de ses excès. Cette humanité dont on vous parle, c’est de la cruauté envers le peuple ; ce pardon qu’on cherche à vous suggérer, c’est l’arrêt de mort de la liberté, et le peuple lui-même doit-il pardonner au tyran ? Le sou-