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facile de couvrir tous les attentats ; mais l’ennemi bordait le territoire, l’épouvante était dans l’État, les armées étaient délabrées, les généraux étaient d’intelligence avec la cour et l’ennemi. L’insolence était sur le front des ennemis du bien public ; la garde des Tuileries menaçait les citoyens, menaçait les législateurs, menaçait la liberté ; le roi ne gouvernait point ; il était inviolable dans l’administration ; l’était-il dans le refus de gouverner ? Nuls rapports politiques n’existaient entre les administrations et lui ; la puissance exécutrice n’agissait que pour conspirer ; elle conspirait par les loi, elle conspirait par la liberté ; elle conspirait par le peuple, et l’on se plaint des séditions, on s’étonne d’une révolte légitime, de tout un peuple, et on l’attribue aux factions ! Lorsque dans un État, chaque particulier est outragé, lorsque les liens de confiance qui unissent les citoyens au prince sont rompus, et que le ressentiment secret de tous les particuliers va grossir l’orage et produit la commotion universelle, le prince n’est déjà plus ; le souverain a repris les rênes.

Il est aisé de voir que Louis s’aperçut trop tard que la ruine des préjugés avait ébranlé la tyrannie. Quel mouvement de sa conscience pouvait retenir sa sanction, lorsque son refus exposait l’État ? Quelle conscience et quelle religion, que celle qui dépouille de tout sentiment d’humanité pour la patrie, et fait oublier qu’on règne pour elle et non pour soi !

Était-ce bien l’amour de la religion, c’est-à-dire la probité, qui dictait au roi cette lettre écrite à l’évêque de Clermont, dans laquelle il paraissait nourrir le dessein de recouvrer la tyrannie, après avoir promis, sous la foi du serment, de maintenir la liberté ? Au moins, on ne peut nier que son ambition n’ait balancé sa croyance, si la loi répugnait à son cœur ; plutôt que d’être parjure, il fallait cesser d’être roi. Il n’est point de Dieu qui demande qu’on trouble la terre et qu’on soit perfide pour l’honorer ; ainsi, sous tel aspect qu’on envisage cette conduite, Louis a trompé le ciel, il a trompé les hommes, et Louis est coupable aux yeux de tous les partis.