Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, I, 1908.djvu/411

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’orgueil dans la détresse. En vain demandez-vous de l’ordre ; c’est à vous de le produire par le génie des bonnes lois.

On dit souvent, lorsque l’on parle de morale : cela est bon en théorie ; c’est que l’on ne voit pas que la morale doit être la théorie des lois avant d’être celle de la vie civile. La morale qui git en préceptes isole tout ; mais fondue, pour ainsi dire, dans les lois, elle incline tout vers la sagesse, en n’établissant que des rapports de justice entre les citoyens.

On ne peut se dissimuler que notre économie est altérée en ce moment, comme le reste, faute de loi et de justes rapports. Féro vous a parlé d’après Smits et Montesquieu. Smits et Montesquieu n’eurent jamais l’expérience de ce qui se passe chez nous. Beffroi vous a fait le tableau de beaucoup d’abus ; il a enseigné des remèdes, mais n’a point calculé leur application. Roland vous a répété les conseils des économistes ; mais cela ne suffit point. Il est bien vrai que la liberté du commerce est la mère de l’abondance ; mais d’où viennent les entraves mises à cette liberté ? La disette peut provenir de mille causes ; et si la rareté des grains était venue en France d’une cause partiticulière, et que nous y voulussions appliquer un remède, bon en lui-même, mais sans rapports avec le mal, il arriverait que le remède serait au moins nul, sinon pernicieux.

Voilà ce qui nous arrive. En vain nous parle-t-on de la liberté du commerce des grains, si nos malheurs ne viennent point premièrement du défaut de liberté, ou plutôt si ce défaut de liberté dérive d’une cause sur laquelle on ferme les yeux.

J’ose dire qu’il ne peut exister un bon traité d’économie pratique. Chaque gouvernement a ses abus ; et les maladies du corps social ne sont pas moins incalculables que celles du corps humain. Ce qui se passe en Angleterre, et partout ailleurs, n’a rien de commun avec ce qui se passe chez nous : c’est dans la nature même de nos affaires qu’il faut chercher nos maladies et nos remèdes.

Ce qui a renversé, en France, le système du commerce des grains depuis la Révolution, c’est l’émission déréglée