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peut bien imposer des lois par sa volonté parce que ces lois importent à son bonheur ; mais le peuple même ne pouvant effacer le crime de la tyrannie, le droit des hommes contre la tyrannie est personnel ; et il n’est pas d’acte de la souveraineté qui puisse obliger véritablement un seul citoyen à lui pardonner.

C’est donc à vous de décider si Louis est l’ennemi du peuple français, s’il est étranger, si votre majorité venait à l’absoudre, ce serait alors que ce jugement devrait être sanctionné par le peuple ; car si un seul citoyen ne pouvait être légitimement contraint par un acte de la souveraineté à pardonner au roi, à plus forte raison un acte de magistrature ne serait point obligatoire pour le souverain.

Mais hâtez-vous de juger le roi car il n’est pas de citoyen qui n’ait sur lui le droit que Brutus avait sur César ; vous ne pourriez pas plutôt punir cette action envers cet étranger que vous n’avez blâmé la mort de Léopold et de Gustave.

Louis était un autre Catilina ; le meurtrier, comme le consul de Rome, jugerait qu’il a sauvé la patrie. Louis a combattu le peuple : il est vaincu. C’est un barbare, c’est un étranger prisonnier de guerre. Vous avez vu ses desseins perfides ; vous avez vu son armée ; le traître n’était pas le roi des Français, mais le roi de quelques conjurés. Il faisait des levées secrètes de troupes, avait des magistrats particuliers ; il regardait les citoyens comme ses esclaves ; il avait proscrit secrètement tous gens de bien et de courage. Il est le meurtrier de la Bastille, Nancy, du Champ-de-Mars, de Tournay, des Tuileries : quel ennemi, quel étranger nous a fait plus de mal ? Il doit être jugé promptement : c’est le conseil de la sagesse et de la saine politique : c’est une espèce d’otage que conservent les fripons. On cherche à remuer la pitié ; on achètera bientôt des larmes ; on fera tout pour nous intéresser, pour nous corrompre même. Peuple, si le roi est jamais absous, souviens-toi que nous ne serons plus dignes de ta confiance, et tu pourras nous accuser de perfidie.