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Mais, outre ces raisons, je vous prie de considérer quelle est votre institution à vous-mêmes.

Le peuple n’a point créé de maîtres, il n’a cherché que des oracles et son bonheur. Si on lui dit insidieusement que vous voulez accroître votre empire ; si l’on répand dans les départements qu’ils ont donné des armes pour se faire opprimer ; si, plus insidieusement encore, on leur fait entendre qu’on appelle agitateurs ceux que la cour traitait de actie si vous vous divisez vous-mêmes, et que ces bruits s’accréditent, ou par le crime adroit des uns, ou par la vertu imprudente des autres, je prie votre sagesse de répondre.

Mais que fera la force agissant, même selon la pureté de vos vues, contre des hommes exagérés peut-être, mais dont le langage est plein de la nature et de ses droits. S’ils égarent le peuple, votre milice n’osera point tirer sur lui ; si vous ne craignez point qu’on l’égare, pourquoi vous armer ?

Vous vous révoltez tous, lorsqu’on vous parle de déployer la force ; point de sang, dites-vous sans cesse ; j’ose donc vous demander ce que vous prétendez faire de la force que vous appelez ici, s’il est selon votre cœur de ne la déployer jamais : si vous ne devez jamais l’appliquer, pourquoi l’établissez-vous ?

Les voies de la philosophie et de la persuasion sont les seules qui vous conviennent ; c’est vous qui l’avez dit ; le décret que votre commission vous présente n’est point un acte d’énergie ; l’énergie n’est point la force, mais la sagesse constante, pure et inexpugnable dans ses desseins ; elle imprime d’elle-même aux méchants un caractère de difformité que le peuple saisit ; mais parmi cette lutte de nos passions sous les armes, on lui persuaderait qu’on veut l’assujettir, et que l’anarchie n’est point dans le peuple, mais dans ceux qui règnent ou se disputent l’autorité.

C’est pourquoi, je n’ai point de confiance en cette force, fut-elle légitime. Il se pourrait encore que votre milice, apprivoisée par ses habitudes, pensât comme le peuple de Paris, et cette milice ferait bien de préférer le peuple à vous, et de ne pas ombrager la liberté.