Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, I, 1908.djvu/39

Cette page a été validée par deux contributeurs.



CHANT I

ARGUMENT

Comment Sornit devint âne ; comment sa mie Adelinde fut violée par un Hermite ; comment l’Amour délivra Sornit ; comment la Folie devint Reine du monde.

Il prit un jour envie à Charlemagne
De baptiser les Saxons mécréans :
Adonc il s’arme, et se met en campagne,
Suivi des Pairs et des Paladins francs.
Monsieur le Magne eût mieux fait, à mon sens,
De le damner que de sauver les gens,
De s’enivrer au milieu de ses Lares,
De caresser les Belles de son temps,
Que parcourir maints rivages barbares,
Et pour le Ciel consumer son printemps.
Dix ans entiers, sur les rives du Xante,
On vit aux mains les Mortels et les Dieux.
Passe, du moins, c’était pour deux beaux yeux,
Et cette cause était intéressante :
Mais je plains bien les Héros que je chante.
Comme des fous, errans, sans feu ni lieu,
Depuis quinze ans, les sires vénérables
Et guerroyaient, et s’en allaient aux diables,
En combattant pour la cause de Dieu.
Tout allait bien, et le bon Roi de France
De triompher caressait l’espérance,
Quand lui, l’armée, et tout le peuple franc,
Devinrent fous, et vous saurez comment.
Le blond Sornit, Sire de Picardie,
Ayant en croupe Adelinde sa mie,
Errait au sein d’une épaisse forêt,
Où le pouvoir d’une triste magie,
Des voyageurs plaisamment se jouait.
Le passager un siècle cheminait
De çà, de là, par maintes avenues,
À droite, à gauche, et sans trouver d’issues ;